mercredi 23 avril 2008

Rendez-vous

Lecture terminée ? Rendez-vous pour les prochaines aventures de Virginie sur "Walking Virginie" (voir ci-contre)
et sur American Virginie (voir ci-contre également)

lundi 21 avril 2008

Le mot de la fin







Me voilà arrivée à la fin de mon récit...
C'est le moment d'une... hmm "pertinente conclusion" !
Mes lecteurs me connaissent, je ne me prends pas trop au sérieux, et je ne prétends pas juger un pays et un peuple après quelques jours de visite. Je peux juste témoigner de ce que j'ai vu, et ce que j'ai vu est forcément partiel. Excluons la politique, le sujet délicat, la guerre ou la dictature; il y a d'excellents livres sur le sujet, et je vous renvoie à ceux de Jamal Mahjoub, signalés en début de blog (et qu'aucun de mes interlocuteurs sur place ne connaissait). Dans un autre registre, les descriptions d'Olivier Rolin sonnent très juste.
Le plus frappant, c'est évidemment la pratique généralisée de l'islam (les coptes représentent à peine 5% de la population) - mais je n'ai pas vu le sud chrétien. Dans le désert et les villages, l'islam est comme à ses origines, un ensemble de règles permettant l'acceptation de conditions de vie très difficiles; il est pratiqué avec sincérité et ferveur. Plus on monte dans les catégories sociales, plus il semble formaliste; et s'il ne paraît pas extrémiste, il est en tout cas profondément enraciné dans la vie quotidienne, et fidèlement suivi, non seulement parce que c'est la loi, mais aussi par conviction personnelle. Les femmes ne se cachent pas la figure - et elles paraissent avoir du caractère -mais elles se maintiennent à leur place, modeste et un peu en arrière, et demeurent certainement respectueuses des traditions vestimentaires. J'ai cependant vu quelques femmes au volant, et elles pratiquent certains métiers publics, comme ghaffir dans les sites. Les jeunes tentent de secouer le formalisme ambiant, mais leur contestation n'est pas bien méchante; sans doute leur marge de manoeuvre est-elle étroite; et les masses populaires sont encore largement analphabètes.
Les coopérants sont assez mal perçus, et sans doute trop peu nombreux pour exercer un impact sérieux; par contre le choc culturel avec les Chinois réserve peut-être des surprises !
Les sites archéologiques sont ce que j'en attendais: beaucoup moins spectaculaires qu'en Egypte, mais empreints de mystère et de poésie, dans des lieux ignorés des masses touristiques; celui qui cherche le contact avec lui-même en se confrontant aux antiques civilisations disparues trouvera son bonheur au Soudan. Il faut se dépêcher, avant que la folie des barrages n'ait tout fait disparaître.
Photos: de retour, je raconte; ma petite collection de pyramides en sandstone, et ma tenue royale, souvenir d'un voyage hors du commun.

Dernières mésaventures

Toutes mes infos disent que je dois payer une taxe de 20 dollars pour quitter le Soudan; j'ai donc gardé le précieux billet vert.
Erreur: désormais il faut payer cette taxe en pounds, mais bien sûr j'ai donné les pounds qui me restaient à Abdel; il est 23 heures, le bureau de change est fermé.
Que faire ? Un porteur vient à mon aide, il me change mes dollars, escomptant un pourboire...
Lorsque mon bagage à main passe au scanner, je suis sévérement invitée par la préposée de service à l'ouvrir: l'objet du litige est mon lisseur, un objet dont elle ignore l'usage; me voilà obligée de faire une démonstration au milieu d'un auditoire de porteurs et de curieux. La gloire et une pub gratuite pour Philips.
La suite sera sans histoire, et le vol avec Lufthansa aussi agréable qu'à l'arrivée. A Bruxelles, c'est le choc thermique dans l'autre sens: je grelotte !

Birthday party

Mes fidèles lecteurs l'ont compris: il faut que je voie cette fête de plus près... Je tente donc une entrée discrète, mais je suis immédiatement repérée ! Succès garanti, comme à Meroe. Veulent tout savoir, d'où je viens, ce que je fais, et surtout si j'aime leur musique - me citent des noms d'artistes inconnus, et je dis oui à tout; veulent que je danse avec eux, et je ne me fais pas prier, ils sont enchantés.
Les filles ont tombé le foulard dès l'entrée, sauf une, plus timide, qui reste assise sur sa chaise; certaines ont les bras nus et même un semblant de décolleté; elles portent presque toutes des jeans moulants, ce qu'on ne voit JAMAIS dans la rue.
Je suppose qu'il s'agit de la jeunesse dorée de la ville, celle qui peut se permettre de tels achats.
Folle ambiance - c'est la musique qui veut ça - mais très convenable tout de même; pas de slows langoureux, et aucune trace d'alcool dans les verres ou dans les yeux; on dirait une "surprise-party" des fifties, les années de ma jeunesse, quand les parents étaient présents !
Je reste une petite heure avec eux - le temps passe vite quand on s'amuse; c'est mon adieu à Khartoum et il est fabuleux.
En me récupérant pour me conduire à l'aéroport, Abdel ne sait trop quoi penser - je vais lui laisser le souvenir d'une terrible originale !

La pizzeria Al Hafawa

C'est là que je prends mon dernier repas. La ville est très animée, tous les magasins sont ouverts, le trafic dingue - c'est à cause de la chaleur, dit Abdel, les gens font leurs courses le soir.
Cette pizzeria ne vend pas de pizza, et à vrai dire, je suis la seule à dîner en terrasse, les autres convives boivent du thé en regardant le foot à la TV.
Le garçon est aussi aimable que Fadoul - je peux choisir : fish or chicken ? Enfin du poisson ! Je ne quitterai pas le Soudan sans avoir mangé une perche du Nil *! Méconnaissable, comme le capitaine au Mali, mais savoureux...
Pendant que je mange, un manège m'intrigue: des garçons et des filles, jeans et t-shirts près du corps, entrent et sortent de la salle intérieure du restaurant, et chaque ouverture de la porte livre une musique américaine tonitruante; à vrai dire, le vacarme est assourdissant, les klaxons dans la rue, la TV et le foot, et la musique des jeunes. Impossible de rester indifférent. Abdel m'explique: c'est une fête privée d'anniversaire; il désapprouve: les jeunes filles ne lui semblent pas très convenables. Ah ! la jeunesse !
Je le questionne sur les drogues, et il me dit que c'est comme l'alcool, ça circule sous le manteau, mais que les punitions sont très dures. Il condamne sévèrement tout écart: pour lui la loi est bonne et les jeunes doivent se plier.
*Pas moyen de savoir quel poisson je mange...Est-ce une de ces fameuses perches qui ont provoqué une catastrophe écologique dans le lac Victoria et que je boycotte en Belgique malgré leur prix attrayant ?

Dernière flânerie


Au bord du Nil bleu, au café Askela, un grand jus de pamplemousse; la chaleur est suffocante et pas le moindre souffle de vent - je rêve, dans ma tête je fais le bilan de ce voyage plein de surprises...

Le policier du musée national.


Il est 15h30... Abdel me conduit au Grand Holiday Villa Hotel, où une chambre de courtoisie m'attend - mon avion part cette nuit. Je voudrais faire un tour en ville, aller voir le quartier des ambassades, et aussi la librairie anglaise, mais mon pauvre Abdel doit "faire la maintenance de la voiture" puisqu'il repart ce soir. Je pourrais prendre un taxi, mais finalement je décide de retourner au musée national - à pied - pour acheter au ghaffir une cargaison de cartes postales modernes, puisqu'il est le seul à en vendre au Soudan !

Le musée est fermé, c'est le verdict des trois policiers qui raclent un fond de gamelle de foul au comptoir, et point de ghaffir. Me disent de revenir demain - mais demain je serai loin, alors l'un des trois se dévoue, il va me faire faire une visite "particulière". Son anglais est très mauvais, et il ne comprend pas que j'ai déjà vu le musée, et que je veux seulement des cartes. Me voilà obligée de m'exécuter.... Visite guidée sous la conduite d'un jeune policier qui en connaît beaucoup moins que moi sur les sites ! Eminemment cocasse. Bien sûr, no pictures, mais je me suis débrouillée.

Le souk d'Omdurman

C'est le plus grand du Soudan... Comme il n'est pas piétonnier, nous perdons une heure dans un trafic pratiquement à l'arrêt avant de trouver un endroit pour se parquer.
No pictures !
De toute façon, ce n'est pas un beau souk; marché oriental habituel, casseroles, nippes, fleurs en plastique, le tout dans la poussière, entre les ânes, les carioles, les gamins qui vendent des bricoles et les mendiants invalides. Pas de belles africaines dans des boubous multicolores, rien que des voiles tristounets.
Abdel veut m'emmener dans le "souk d'or", où se succèdent les boutiques des bijoutiers, mais je refuse - une femme n'achète pas de bijoux, elle se les fait offrir.
Le "souk des artisans", deux infâmes ruelles couvertes, est misérable; boueux, et les marchands sont assis par terre dans la gadoue, à peine protégés par des morceaux de carton, en attendant le chaland. Objets sans valeur, animaux en fausse ébène, un peu de vannerie; les boutiques sont des antres sombres sans électricité; c'est pauvre d'entre les pauvres. Je déniche pourtant quelques vieilles cartes postales...
Ce souk fait partie de mes rares déceptions !

Gaspillages à l'africaine


Le pique-nique est toujours trop copieux, il reste pas mal de pâtes et de feta; Abdel sort son sac poubelle et je m'insurge - c'est de la bonne nourriture, il peut la donner aux gens qui vivent dans la concession. Il est formel: personne ne mange ça ici.. Ah bon ? Les poules alors, ou les moutons, qui traînent dans la cour à la recherche d'une hypothétique nourriture. Même réponse !

Je suis choquée et j'ai envie de lui dire qu'il agit comme les Européens qui ne veulent pas goûter le foul...

A 100 mètres de sa maison (il habite dans la périphérie), ce sont les bidonvilles des gens du sud, réfugiés pendant toutes ces années de guerre; no pictures; ils rentrent chez eux maintenant, et de me montrer des camions chargés, prêts au départ; et moi je pense dans ma tête, bidonville, misère, faim, et la feta à la poubelle.

Photo: un très beau rickshaw, moyen de transport habituel dans les villes

Chez Abd'el Kharim




En route pour Karthoum. Abdel est maussade, il a appris par téléphone que ce soir il doit repartir à Karima (450 km), après m'avoir conduite à l'aéroport - sans prendre de repos ! Je trouve aussi que c'est inhumain.


Le pique-nique habituel, salade de pâtes, feta, bananes et falafels qu'Abdel achète au bord de la route, avec du pain frais, nous le prenons chez lui, où il m'invite à rencontrer sa femme.


Elle se fait attendre, je suppose qu'elle se fait belle en mon honneur.


Elle est très belle en effet, enveloppée dans une mousseline bleue et verte, ongles violets, henné aux mains et aux pieds, sourcils épilés, kôhl, rouge à lèvres; haute de taille, poitrine généreuse et hanches larges, pour faire contre-poids à Abdel, c'est bien nécessaire. No pictures ! Abdel ne veut pas que sa femme soit vue de tous ces Européens qui vont regarder mes photos; c'est tout juste s'il accepte que je photographie ses deux enfants...

Last night in Meroe


A la nuit tombante, je prépare mon sac, car le grand départ est pour demain - mais voilà que le générateur tombe en panne, pas de lumière !

Fadoul, très ennuyé, m'apporte une lampe à pétrole... on va essayer d'arranger ça pour le dîner; je le rassure: soyons positif, nous avons de l'eau !

Abdel part au village chercher je ne sais quoi, et puis la lumière revient, assez tard, mais elle revient; le dîner est du boeuf grillé camouflé sous la roquette, des patates rissolées et des aubergines à toutes les modes: en caviar, grillées, en rata; il n'y a plus que moi dans le camp et on n'attend personne demain, alors, à mon avis, on vide le frigo.

La nuit, le vent se calme et ce calme me réveille: je m'installe dehors, et je rêve; le firmament est comme le plafond de ma chambre, semé d'étoiles; adieu Meroé, adieu Soudan, c'était magnifique.

La dernière idée de Samira







Puisque je refuse et le mari, et le henné, Samira décide de m'offrir une robe soudanaise; nous voilà dans sa chambre - surprise, une pièce propre avec deux lits impeccables et une armoire regorgeant de vêtements lavés et repassés.
Séance d'essayages entre filles, et délires de filles; elle s'extasie sur mes sous-vêtements, et moi je me trouve ridicule dans la plupart des robes; on opte finalement pour une bleu pâle; voyez le résultat: j'ai l'air de porter une robe de nuit.
Pour clore le sujet du mari, je dis que je n'en ai pas besoin, que j'ai assez d'argent, que je suis libre et que je ne dois pas faire la cuisine pour un homme... dans les yeux de Samira je vois passer un ange, mon féminisme a touché.
Mais il faudra encore des générations avant que les Samira deviennent des femmes libres...
Elle ne veut pas me laisser partir ! Et si je dormais avec elle ? Abdel tranche, crazy girl, crazy night, il a un programme, lui.
Au camp, Fadoul me complimente; alors pour faire plaisir, je bois mon thé sur la terrasse en robe de nuit...
Sur la photo, le mec, c'est Abbas...

Samira la marieuse










Tout d'abord Samira se met dans la tête de me passer les mains et les pieds au henné - allons, juste un doigt ! mais je refuse; pour une fois je m'oppose; je trouve que le henné déguise les femmes blanches au lieu de les embellir. A chaque type de femme son type de beauté.




Lorsqu'arrive un visiteur, nommé Abbas, elle a une autre idée: me trouver un mari ! Et pourquoi pas Abbas ? A première vue, l'intéressé semble d'accord; reste mon opinion.




J'énumère alors mes critères: bon - tout le monde aquiesce; intelligent - tout le monde s'écrie en riant qu'Abbas est intelligent, ce dont je doute, il ne parle même pas anglais; fidèle - éclair d'incompréhension: que signifie fidèle dans une société polygame; riche - tout le monde hurle que c'est le plus important; beau - alors c'est le délire, Abbas n'a plus que deux dents, et ce n'est pas Brad Pitt; non fumeur, et c'est de nouveau le délire, il a une cigarette en mains ! game over, et tout le monde de s'écrouler de rire. Abbas comme les autres, mais il n'a rien compris. J'ajoute qu'il est trop jeune pour moi, et que je préférerais un homme de ma génération, et alors les fous-rires recommencent "un Soudanais de 60 ans, non seulement il n'a plus de dents, mais plus rien d'autre non plus..."



Photos: Abbas, malheureusement, de profil - la cuisine, avec la servante, en jaune - et le pot dans lequel brûlent les herbes pour éloigner les mauvais esprits

Vieillir au Soudan


Evidemment ce n'est pas la même chose que de vieillir en Belgique... La maman de Samira et de Mouna a dix ans de moins que moi.

Par contre, ce qu'on y perd en apparence, on y gagne en respect, car les vieilles mamans sont bien plus respectées qu'ici...

Admirez son bijou...quand je vous disais que j'avais affaire à des gens aisés !

Samira
















Samira est une rencontre unique, extraordinaire.





Elle est assise sur un vieil angareb branlant, et elle se badigeonne les pieds et les mains de henné, délicat travail plusieurs fois interrompu par son gamin de 18 mois qui s'accroche goulument à un sein pas du tout voilé.





Elle ne porte pas de voile - à l'intérieur ce n'est pas obligatoire - sauf qu'un peigne est fixé dans ses cheveux crépus, objet insolite qui lui donne l'air d'une sculpture moderne.





Elle plaisante sans cesse, riant aux éclats sans retenue; elle veut tout savoir sur moi, surtout pourquoi je n'ai pas de mari avec cette kyrielle d'enfants.





Dans la pièce, il y a aussi sa soeur Mouna, qui tient dans ses bras un bébé aussi obèse qu'elle... Ce sont des gens aisés, car le bébé possède une chaise et une servante apporte le thé.





La TV fonctionne et Mouna n'arrête pas de changer de chaîne, aucun programme ne lui convient: ce sont partout des variétés insipides.





L'assemblée se complète de deux hommes jeunes, qui fument des cigarettes (très rare), et d'un gamin timide qui n'ose pas expérimenter son anglais. Voilà où m'a embarquée Abdel.





Photo: regardez bien la chaise du bébé - une chaise pour futur militaire ?

Le tisserand monophysite


Shendi est qualifiée de ville dans mon bookguide, mais ce n'est pas une ville selon nos critères: un assemblage plic ploc de maisons basses en pisé, entourées de murs aveugles; on pénètre dans chaque concession par une porte en fer, et l'on se perd dans un dédale de cours et de pièces diverses, où vivent plusieurs familles, selon un plan qui nous échappe. En fait de rues, les quartiers sont sillonnés par des chemins de terre défoncés.

Première visite pour un tisserand copte : petite démonstration sur un antique métier, prétexte à la vente de quelques cotonnades. Du bon tourisme pour groupes. Manque plus que le potier !

Pas trop de marchandages - ce n'est pas vraiment mon truc - j'achète un foulard qu'Abdel verrait bien sur ma tête, et on devise autour d'un thé. On me sert un "nana chai" - un thé à la menthe.

Je tente d'expliquer à Abdel la différence entre les coptes et les catholiques: nous croyons que le Christ est à la fois pleinement dieu et pleinement homme, et les coptes que le Christ n'a qu'une seule nature, dieu et homme en une seule personne. Plutôt chinois, n'est-il pas ? Dire qu'on s'est déchiré sur le sujet, autrefois... Abdel dit que c'est stupide, mais je me garde bien de lui rappeler les différences entre les sunnites et les chiites, tout aussi dérisoires, et qui provoquent tant de luttes fratricides...

Poisson du Nil ?

Shendi est la ville la plus proche du camp et le lieu de ravitaillement. J'ai demandé à Fadoul si les Soudanais ne mangeaient jamais de poisson, vu qu'on ne m'en sert jamais. Le Nil fournirait-il ses perches uniquement à l'Occident ?
Ce n'est pas la saison ! Trop chaud ! Seulement en hiver... Mais si je veux, il ira à Shendi au marché me chercher du poisson, qui arrive de Khartoum par camion. Non merci, j'imagine l'état de fraîcheur de l'animal après ce long voyage et tous les intermédiaires...

The slave market

La ville de Shendi est célèbre pour avoir abrité, jusqu'au 19ème siècle, un florissant marché d'esclaves provenant du sud. Voilà qui irrite fort Abdel ! Tous les groupes, dit-il, veulent voir le marché aux esclaves. Comme s'il existait toujours ! (on dirait qu'il se sent attaqué personnellement d'esclavagisme) Ou comme s'il y avait un lieu particulier à visiter ! Eh bien, non, rien à voir, circulez, et de toute façon, c'est vendredi, même le marché aux légumes est fermé...

Lunch à la cafeteria


On rejoint la route Ben Laden et on s'installe à la terrasse d'un bistrot pour routiers; Abdel sort les tups habituels, cette fois une salade de riz remplace l'éternelle salade de pâtes aux légumes.

A ce menu "touristique", Abdel - il ne me consulte même plus - ajoute des plats choisis sur place: l'inévitable foul, un bouillon plein d'yeux et une côte de mouton grillée. Je me régale, mais il va falloir sérieusement penser à une période de diète. Abdel, très décontracté, abandonne rapidement la fourchette pour manger avec les doigts...

Mussawwarat es Sufra






















Toujours dans le désert, à une trentaine de km de Naqa, ce site impressionne par sa taille: il comprend de nombreuses ruines de temples, de murailles et de bâtiments divers, dont tous ne sont pas encore fouillés et n'ont sans doute pas livrés l'entièreté de leurs secrets. Il fait chaud et je me traîne, c'est moins prenant qu'à Naqa...


Le "Lion temple" (encore un), un km plus loin, est mieux conservé - en fait il a été restauré en partie par une université allemande (de l'est !) - il est célèbre par des bas-reliefs représentant des ... éléphants, ce qui tenterait à prouver que ces animaux étaient utilisés à la guerre durant la période méroïtique. Je pose avec le ghaffir.

La route "Ben Laden"


La route qui relie Atbara à Khartoum a été bâtie, paraît-il, avec les deniers de Ben Laden. Prudemment, je demande à Abdel ce qu'il pense de Ben Laden. Réponse mesurée: quand on est riche, c'est bien de partager et d'offrir des cadeaux à ses frères, mais le terrorisme, ça fait mal juger l'islam dans le monde; l'islam ne veut pas la guerre. Toujours prudemment, je ne me risque pas à dire que l'islam soudanais n'est pas particulièrement pacifique, vu la longue guerre avec le sud chrétien, et les événements actuels au Darfour. Aussi je me tais. Et nous tombons d'accord pour enfoncer Bush et Ben Laden dans la même moulinette...

Naqa






















Un des sites les mieux préservés du Soudan et un de mes préférés.






Situé en plein désert - comme d'habitude - à une soixantaine de km de Meroe; la moitié du trajet sur la route "Ben Laden", et l'autre moitié sur une piste sablonneuse souvent mal tracée.






Trois ruines sont à visiter, pour une fois entourées d'une clôture empêchant les moutons d'entrer. Un temple dédié à Amon, plan identique à ceux du Djebel Barkal et de Karnak, avec une allée de béliers (en pierre, narguant les vivants qui cherchent leur nourriture) conduisant à l'entrée monumentale.






Le "lion temple" est une vraie merveille: dédié au dieu kushite Apedemak (= lion), les pylones monumentaux de l'entrée, à peu près intacts, livrent des bas-reliefs d'une grande puissance, représentant le roi Natakamani et sa reine Amanitore tenant leurs prisonniers par les cheveux, dans une pose triomphante. Fascinant ! D'autres bas-reliefs ornent les murs, tous d'une facture remarquable; le type physique nettement africain des personnages justifie pleinement le titre des "pharaons noirs".






Devant le Lion Temple, une élégante construction appelée le "kiosque", synthèse harmonieuse de trois influences: l'Egypte (l'entrée avec le cobra sacré), la Grèce (avec des chapitaux corinthiens), Rome (avec des arcs en plein cintres) - un vestige unique plein de charme.

dimanche 20 avril 2008

Ambiance coloniale

Au camp nous découvrons une 4X4 supplémentaire: plaque diplomatique, dit Abdel avec un grimace. Il s'agit d'un jeune couple, faisant partie du personnel de l'ambassade hollandaise à Khartoum. Ils sont accompagnés d'un couple plus âgé (de la famille en visite), de leurs trois jeunes enfants et ... d'un chien, qui court partout sans discipline, et qu'on doit même chasser de la cuisine. Pour des Arabes, un chien traité comme un enfant, voilà bien une chose incompréhensible...
Ces Hollandais sont mieux éduqués que les quatre Italiens - ils me saluent et nous échangeons quelques mots en français - mais très condescendants avec le personnel. Le dîner est servi à 20 heures, ils arrivent en retard (les Italiens encore davantage), et Fadoul est bien embarrassé avec les plats qui refroidissent. Il vient s'excuser auprès de moi : " ce soir, cuisine internationale, mais demain ils ne seront plus là"; pâtes-poulet frites-salade- crème caramel, tous ont l'air content, et moi je les trouve navrants avec leurs exigences de cuisine européenne. Ils sont stupéfaits que je fasse du tourisme seule, et que j'apprécie le Soudan !
Le lendemain matin, les marchands et les chameliers sont nombreux, flairant les bonnes affaires avec toutes ces voitures de riches, mais en vain, car aucun n'achète la moindre bricole, et les enfants n'ont pas droit à une balade en chameau... Et comble de l'avarice (ce sont bien des Hollandais) ils partent à pied vers les pyramides, emportant des bouteilles d'eau et des biscuits de leurs provisions, sans prendre le breakfast au camp !

Et la mariée ?


Photo: ce n'est pas elle, car je ne la verrai pas... les épreuves masculines doivent durer jusqu'au coucher du soleil, et alors toute la troupe se rend en cortège à la maison de la jeune épousée, disparaissant sous un voile et arborant tous ses bijoux; si j'avais été invitée dans la maison de la jeune femme, je n'aurais pas vu la parade des hommes !

Il paraît qu'une telle fête se répète à chaque mariage - un homme peut prendre jusqu'à quatre épouses. L'histoire ne dit pas ce qu'éprouvent les premières épouses...

Au camp, j'ai mon petit succès; Fadoul et les autres m'entourent, s'étonnent que j'aie accepté la pâte sur mes cheveux; je me rends compte qu'Abdel, toujours si impassible d'apparence, raconte à qui veut l'entendre toutes mes prouesses avec les autochtones.

A wedding (4)





























Le spectacle devient plus hard... cette fois le marié et d'autres jeunes hommes s'avancent dans le cercle, certains torse presque nu, et se donnent mutuellement des coups de fouet ! Attention, pas pour rire, de vrais coups qui strient la peau et font saigner. La victime reste stoïque, pas un seul mouvement de peur, pas une trace de souffrance dans les yeux. Le but de ce jeu viril: montrer qu'on est le plus fort. Ici on honore les corps, l'endurance, la volonté, la maîtrise de soi. Sans agressivité: après chaque coup, les protagonistes se donnent l'accolade. Bientôt les galabiehs immaculées sont ensanglantées - et l'enthousiasme des femmes atteint un crescendo. Peut-être les filles à marier repèrent-elles leur héros ?







Malheureusement, on vient me rechercher, Abdel m'attend dans la voiture; je le trouve un peu parano, je voudrais rester encore - mais il sait mieux que moi ce qu'il convient de faire.

A wedding (3)






















Dans le cercle ainsi formé, le marié et un volontaire, face à face, exécutent des sauts en hauteur, sans aucun élan, vraiment impressionnant ! L'assistance applaudit, les femmes répètent un air lancinant, entrecoupé de youyous. Les amateurs se succèdent, le marié est infatigable. De temps à autre, le maître de cérémonie, jugeant le cercle trop étroit, l'élargit en faisant claquer son fouet dans le sable; instinctivement, je recule ma chaise quand il arrive à ma hauteur, et il rit de bon coeur...






Commencent alors des démonstrations d'armes: bâtons, sabres, fusils, fouets, tout est bon pour pavaner dans le cercle, sous les hourrah de la foule; j'ai bien du mal à faire mes photos, des femmes me prennent par le bras, me montrent l'un ou l'autre de leur champion, m'invitent à taper des mains avec elles !