lundi 14 avril 2008

Abd el Kharim




Voilà je pense l'orthographe exacte du nom de mon chauffeur... Pour la facilité, je l'appellerai Abdel.


Il est grand, lourd, taciturne et déplace sa grosse masse avec la lenteur qui sied à son personnage; il conduit pieds nus et chante en écoutant de la musique arabe; il connaît un nombre incalculable de policiers sur le parcours : c'est chaque fois de grandes démonstrations d'amitié.


Il trouve que je mange trop peu... (en fait j'ai pris deux kilos en une semaine de foul et autres soudanaiseries); d'après lui, manger "sérieusement" fait fuir les moustiques ! J'ai préféré m'enduire de Deet chaque soir et bien avaler mon Malarone; tout en pensant qu'aucun moustique ne pourrait lutter contre le vent dément qui fut mon lot dans le désert.


Il est très conservateur dans ses idées; on dirait même que son travail lui fournit des raisons supplémentaires de se tenir à ses convictions islamistes orthodoxes: rien ne le scandalise plus qu'un couple manifestant son affection en public, ou une femme "indécente" (aussi j'évite soigneusement décolletés et vêtements collants), ou des expatriés qui se croient chez eux.


Il approuve l'interdiction des photos: il faut donner une "bonne idée du pays".


Il parle assez bien l'anglais, mais avec un accent arabe épouvantable, et je dois souvent lui faire répéter ses explications; Laura (vous saurez en temps voulu qui est Laura) le comprend également difficilement.


C'est un bon chauffeur, même s'il manque de dynamisme - parfois il est d'humeur à plaisanter et nous rions beaucoup. Je l'apprécie comme compagnon de voyage, discret et efficace.


Nous discutons parfois de l'histoire de son pays et je m'aperçois qu'il a de nombreuses lacunes et surtout qu'il manque de recul. Il n'est pas très fier des ruines archéologiques et ne comprend pas vraiment ce que nous y trouvons, mais "le client est roi"; l'occidental est fou, Allah a dû se tromper dans une partie de la création.


Il est allé deux fois en Europe, à Barcelone et à Londres, emmené dans la suite d'un prince saoudien; il n'a pas aimé l'Europe. A ma question : quel pays préfères-tu? - il a répondu: le Soudan ! - Pourquoi ? Parce que je suis libre...


Libre dans une dictature, voilà un beau paradoxe.